Bruno Durand – Peintures

(Diplômé de l’Ecole des beaux-arts de Rennes, travaille et vit à Dijon)

Association coordinatrice : Les Amis de l’art contemporain du musée de Vannes

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Peinture sans/sous contrainte

Bruno Durand, écrit des textes sur l’art à mille lieux de la peinture qu’il pratique : textes sur la répétition, sur le protocole dans la peinture (François Morellet, Vera Molnar, etc.). Fin connaisseur de la peinture et collectionneur à ses heures, il peut en parler avec passion. Il est frappant de voir combien sa propre peinture, tout à l’opposé, ne s’embarrasse ni de théorie, ni de système, ni de concept, ni de commentaire. Si les fantômes de son histoire l’animent en sous-main, il n’y a jamais de citation pesante à décrypter, d’analyse sous-jacente (à comprendre avec l’aide d’un médiateur !), de prise en otage du regardeur selon quelque impératif esthétique ou moral. La peinture parle d’elle-même en toute liberté.

Comme dans le jazz, peut-être, une improvisation débridée sur des thèmes récurrents, un bœuf perso.

Comment parler de cette peinture ? Beaucoup de qualificatifs contradictoires viennent à l’esprit : elle peut être tour à tour et simultanément légère, joyeuse, primesautière, enjouée, chantante, pétulante, triomphale, jubilatoire, brouillonne, gribouillée, mal léchée, incohérente, dissonante, désordonnée, gestuelle, insouciante, brillamment exécutée, muette, loquace, aquatique, épaisse, transparente, opaque, criarde, grinçante, intense, atténuée, douce, nuancée, éraillée, rugueuse parfois, cultivée, spectrale, innocente, sans apprêt, sophistiquée, inconsidérée, non préméditée, nuageuse, ciselée, étendue, lisse, hérissée, libre, sous contrainte, improvisée, programmée, unique , sérielle, additive, syntaxique, irrationnelle, délibérée, volontaire, irresponsable, tangible, évanescente, consistante, effilochée, harmonieuse, équilibrée, boiteuse, insolite, ratée ou réussie ou on ne sait pas.

Chez Bruno Durand, l’aquarelle sur papier, où souffle le vent de la liberté, s’est installée en médium maître depuis 2010. Des adjonctions partielles d’encre et de gouache apportent des notes plus brillantes ou plus mates. Travail intimiste, « fait à la maison », qui est resté quasi secret jusqu’en 2018, date à laquelle nous avons forcé la main de l’artiste pour qu’il le montre. À ce jour, plus de onze années d’exercices assidus, de confrontations régulières avec des feuilles blanches de format raisin ou grand jésus, ont permis d’acquérir aisance et dextérité. Le geste s’est fait plus ample, moins calculé peut-être. Cette lente conquête d’une improvisation davantage physique s’est traduite par l’adoption de formats plus grands : double raisin (approximativement) et grand aigle. Mais traduire « aisance » par « improvisation » est sans doute trompeur.

Quand il attaque une peinture, Bruno Durand ne fait pas de dessin. Ce qui tient lieu de composition vient « en cours de route » et c’est en pianotant qu’il trouve le thème. Une structure alors s’impose. Des formes récurrentes sont arrivées : des formes patatoïdes, des stries, des coulures, des rythmes, des ovoïdes, des formes un peu dentées, des nuages, des tiges, des bulles, des nœuds, des réticulations, des grilles, des aplats, des griffures, des tortillons, etc. Dans la production 2021 — dont seule une petite partie est exposée –, on rencontre des zones rectangulaires, des passages de pinceau parallèles, quelques effets de tâches en rehaut, quelques entrelacs ; partout le blanc du papier reste visible.

Un triptyque se remarque d’autant plus que, constitué de formats horizontaux, il occupe une place non négligeable. Un rectangle abricot accroché au haut de la feuille – doublé à gauche –, se positionne à droite ou au milieu, comme si la peinture se disputait avec elle-même, jouait avec et contre son cadre. Le même jeu de variation dans l’emplacement, la dimension, la technique ou la couleur se retrouve avec des parallèles ici brunes, là vertes, ailleurs jaunes. La transparence de certaines, plus larges, contraste avec la densité sombre de bruns plus étroits virant au noir ou au vert. Comme une petite musique avec des phrasés différents construits sur un même accord.

La logorrhée théorique concernant l’œuvre personnelle bannie, cela n’interdit pas d’écrire ! Des formes récurrentes qui ont surgi au fil du pinceau, tout un répertoire a été constitué et, partant de là, un exercice quasi oulipien a consisté pour chaque aquarelle à rédiger un petit texte descriptif « très plat », de dix ou quinze lignes, le plus objectif possible.

Cette écriture, curieusement laconique et distante comme si elle portait sur des œuvres étrangères, est aujourd’hui délaissée.

Demeure la trace que quelque chose de l’ordre de la contrainte plus ou moins systématique anime en sous-main cette peinture. Cette contrainte ne porte ni sur un « outil de travail » (empreinte de pinceau, bandes parallèle…), ni sur un programme existentiel (effacement des chiffres virant au blanc sur blanc jusqu’à la mort…), mais sur un dispositif de production : support papier, format identique, aquarelle modifiée, peinture domestique dans les limites d’une étroite pièce servant de bureau-atelier, maxime implicite de la tâche quotidienne. Boileau disait : « Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. » Assiduité et répétition se passent cependant, chez Bruno Durand, de repentir. La peinture est plus ou moins réussie, selon une échelle de valeurs qu’il est difficile de déterminer rationnellement. Si elle tient la route, il ne faut pas pour autant en attribuer le mérite à quelque serendipity. La contrainte de situation a engendré un habitus, une histoire s’est écrite, et l’auto-perception du travail induit désormais un guidage approximatif, des semblants de petits programmes que viennent matérialiser des suites, des cousinages, comme pour ce triptyque évoqué précédemment, qui n’était pas prévu d’avance en tant que tel.

Christian Besson