À voir ou à revoir au musée des Beaux-Arts la Cohue, une estampe de François Morellet, Carré sur carré, 1981.

Sortie exceptionnellement des réserves pour « Une œuvre, des regards », le rendez-vous des Amis de l’art contemporain du musée de Vannes, elle sera visible pendant deux mois puis soigneusement rangée à l’abri de la lumière.

François Morellet né à Cholet en 1926, industriel jusqu’en 1975, est un artiste autodidacte « entré dans l’art contemporain avec curiosité[1]». Influencé par l’œuvre de Mondrian, il s’oriente vers l’abstraction géométrique puis expérimente l’art cinétique au sein du Groupe de Recherches d’Art Visuel fondé avec Max Bill (GRAV, 1963-1968). Le Labyrinthe de GRAV a été exposé au musée La Cohue de Vannes en 2002.

A contre-courant, se présentant comme le « fils monstrueux de Mondrian et Picabia », il explore alors toutes sortes de moyens d’expression avec les matériaux les plus divers. Il refuse de laisser transparaître la trace de la main de l’artiste et se tourne vers des objets industriels, comme le tampon, les néons, l’acier, etc., qu’il utilise à travers de nombreuses médiums : gravure, sculpture, peinture, architecture, paysage, etc.

Carré sur carré, eau-forte sur cuivre, est datée de 1981.

Cette gravure appartient à la génération des Tableaux déstabilisés. L’œuvre encadrée, posée sur un chevalet, semble déséquilibrée et suspendue en apesanteur. Le regard du spectateur, un instant troublé, oscille entre le carré bien horizontal tracé au centre de l’œuvre et les bords du cadre qui ne le sont pas. Pour la présentation, Morellet a donné des consignes précises : « feuille de papier inclinée à 5°-95°, carré gravé horizontal ».

Projets autonomes, les gravures datées de 1980 à 1983 s’identifient comme en peinture par la description de leur processus de fabrication, plus importants aux yeux de Morellet que le résultat.

L’artiste convoque la participation du spectateur :

          « … j’ai, en effet, toujours eu comme grand principe “en faire le moins possible” ou […] trouver des principes qui soient suffisamment simples et précis pour que la limitation de ma responsabilité soit évidente et que le spectateur  puisse déballer son pique-nique sans honte[2]. »

Il oppose le système de présentation, entendu comme le support de l’œuvre et le système de représentation, c’est à dire l’œuvre d’art elle-même :

          « Une des contraintes avec laquelle j’ai beaucoup joué est cette présence envahissante du couple mur-plancher, cette verticalité-horizontalité à laquelle les tableaux obéissent d’habitude bien sagement. (…) J’invertis les deux systèmes. Le support par une position, une inclinaison inhabituelle, devient l’œuvre d’art, par contre, la peinture n’est là que pour indiquer le peu d’information que la neutralité du support donne habituellement : l’horizontalité-verticalité ».

Particulièrement réticent à l’encadrement de ses œuvres, l’artiste préfère souvent leur offrir la possibilité de l’infini. Une œuvre constituée de grandes feuilles de papier posées à même le mur a été présentée en 1999 au Musée de La Cohue à Vannes lors de l’exposition  François Morellet : Gravures 1980-1999.

Morellet affectionne particulièrement le carré car « il n’a besoin pour être défini que d’une décision arbitraire ». En effet, l’artiste ne décide que d’une dimension plutôt que de deux dans le cas d’un rectangle. Il déclinera inlassablement la géométrie du carré, de l’œuvre intitulée Répartition aléatoire de 40 000 carrés, élaborée en suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire du téléphone (1962), jusqu’à sa série des Trames des années 70.

En 1987, à Kerguéhennec, pour l’une de ses nombreuses commandes publiques et privées, Morellet propose Le Naufrage de Malevitch. Le matériau choisi, le béton, se plie aux contraintes techniques à l’échelle du lieu, un étang au milieu d’un écrin de verdure. Selon un point de vue diamétralement opposé à l’œuvre, trois angles échoués sur les berges évoquent un gigantesque carré blanc englouti par les eaux.

Dans les années 1990, de nouvelles périodes se succèdent alors rapidement. Après avoir investi l’espace par de grandes surfaces uniformément blanches (Défigurations), il introduit le mouvement dans un esprit qu’il qualifie de « baroque » (Steel life).

Il utilise aussi la lumière artificielle sous forme de néons à l’échelle monumentale, structurant la totalité de l’espace par des formes et des rythmes lumineux, créant « un ordre instable » ou « un chaos organisé ».

Morellet abhorre ou critique tout ce qui pourrait échapper à l’esprit : « le mal foutu », la trace gestuelle, la matière triturée, la couleur expressive, in fine la subjectivité de l’artiste. Pour lui, les couleurs sont tolérables que par mélange optique, par superposition ou par juxtaposition, mais surtout pas « … en les mélangeant d’une façon traditionnelle et dégoutante », dit-il. L’humour, l’accident et l’absurde occupent une place prépondérante dans ses œuvres. Jamais sérieux, Morellet les a conçues comme des amusements, repoussant constamment les règles de l’art ou les transgressant avec un malin plaisir.

Fidèle à ses principes, avec une économie de moyens proche de l’Art minimal, il décline un vocabulaire plastique volontairement restreint, autour de la fragmentation, du basculement, des droites et des courbes, du noir et du blanc, des pleins et des vides.

Se donnant des contraintes, des « règles du jeu », il construit des « systèmes » pouvant engendrer de nouvelles œuvres. Il ne se laisse enfermer dans aucun discours théorique et, par ses écrits et ses nombreuses interventions, il revendique une certaine « frivolité » et cultive la critique de son œuvre elle-même. 

[1] François Morellet, Mais comment taire mes commentaires, Paris, Éd. École Supérieure des Beaux-Arts, 2003.

[2] Ibid.